Jamais dans l’histoire de l’humanité on n’a été aussi formé et éduqué. Être au profit d’une formation tertiaire (Universités ou Hautes Ecoles) devient aujourd’hui la tendance centrale. L’Office Fédéral de la Statistique estime que dans une dizaine d’années plus de la moitié de la population résidante permanente en Suisse âgée de 25 et 64 ans aura un degré de formation tertiaire. Conséquemment, on peut facilement imaginer que le nombre de thèses doctorales ne va faire que d’augmenter puisque de plus en plus de personnes auront accès à ce niveau d’étude. Par ailleurs, le monde ne cesse de s’accélérer. Dans un tel contexte, il devient difficile de concilier de longues études doctorales avec une volonté de résultats instantanés et des gratifications immédiates.
Dans cet article, je souhaite partager ce que j’ai appris durant ma thèse doctorale et ce que cette expérience m’a apporté au niveau intellectuel et humain. Par ailleurs, je souhaite aussi questionner un versant de l’avenir de notre société si les prédictions de l’OFS se réalisent.
Philosophiæ Doctor
A la fin de mon master, je commençais à faire face à des questions encore ouvertes en mathématiques. Par ailleurs, j’avais les outils pour tenter de les résoudre. Ceci n’a rien d’intrinsèquement spécial à mes études. Le but des études universitaires est justement de nous amener à ce niveau-là de connaissances. Selon la convention de Bologne, chaque degré universitaire (Bachelor, Master, ou PhD) se distingue en termes de connaissances relatives au domaine, de notre capacité à former des jugements, d’un savoir-faire, ainsi que de compétences d’apprentissage et autonomie (swissuniversities.ch). Cependant, lorsque j’ai choisi de faire une thèse en mathématiques, je n’avais pas conscience des compétences très particulières que j’allais acquérir. Notamment, celle que j’allais devenir un chercheur capable de mener une recherche selon la méthode scientifique en vigueur en mathématiques.
Le point de départ de toute recherche scientifique est une question dont on n’a pas encore des réponses satisfaisantes. Dans mon cas, j’avais envie d’étudier des objets géométriques à l’aide d’outils issus de la topologie algébrique, le domaine dans lequel je me suis spécialisé durant mon master. Il y a une centaine d’années, les géomètres ont inventé la topologie afin d’étudier les propriétés invariantes des objets géométriques sous déformations continues. Ces déformations continues sont des transformations spatiales continues, comme celles qui déforment la tasse de café en donut, d’où le gag qu’un topologue n’arrive pas à faire la différence entre les deux.
Dans ma thèse, j’ai investigué l’hypothèse que peu d’objets géométriques possèdent une symétrie du cercle. Cette sorte de symétrie se caractérise par le fait qu’un objet géométrique est invariant par une rotation sur lui-même. Évidemment, démontrer un tel résultat dans toute sa généralité est très difficile. C’est pour ça que je me suis réduit à une famille spécifique d’objets géométriques. En utilisant principalement des outils issus de la topologie algébrique, j’ai réussi à montrer que l’hypothèse est vérifiée dans ces cas précis (Kiwi, L. (2015). Circle actions on complete intersections.).
Vivre selon des valeurs scientifiques
Que ce soit en mathématiques ou dans n’importe quelle science, la recherche commence là où les connaissances humaines se terminent. Bien qu’un large corpus de recherche existe, la science nous apprend qu’on a plus de questions que de réponses. Par ailleurs, à part en mathématiques où une notion de vérité existe, la science avance par réfutabilité. Cette philosophie de la connaissance assume qu’on ne peut pas prouver la véracité d’une théorie. En revanche, on ne peut que la réfuter et montrer qu’elle est fausse. Conséquemment, une hypothèse pour être scientifique doit être réfutable. Cette dernière va être assumée correcte tant qu’elle n’a pas être démontrée comme fausse. Ainsi le processus de recherche avance lentement à l’aide de théories étant potentiellement fausses. Celles qui résistent le temps et les expériences sont les théories qui vont être le plus acceptées. Par exemple, la science ne peut pas accepter une théorie expliquant certains phénomènes à l’aide de forces surnaturelles, e.g. la personnalité d’un individu est déterminée par dieu à la naissance. On n’aurait aucun moyen de mener une expérience pour essayer de réfuter la théorie.
Par ailleurs, bien que l’être humain cherche désespérément à savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, la science se contente en général de modèles capables de prédire certains phénomènes. Une théorie est jugée intéressante si cette dernière a un fort pouvoir prédictif ou permet d’expliquer de façon correcte des phénomènes historiques. Par exemple, les lois de la mécanique de Newton sont encore fortement utilisées, notamment pour construire des ponts et des immeubles. Cependant, elles n’expliquent pas les effets que la théorie de la relativité met en lumière, ni les phénomènes observés à des niveaux atomiques. Ainsi, il n’y a pas de doutes pour affirmer que la théorie est réfutée. En revanche, sa simplicité reste indéniable et puisque les ponts ne s’effondrent pas tous les jours on continue à l’utiliser.
Une autre valeur que je trouve très belle dans la science est celle d’un construit collectif. La science est avant tout un partage de connaissances. Elle avance en construisant ses hypothèses et ses théories sur celles des autres. De plus, la science accorde une grande importance à citer correctement les travaux des autres chercheurs. La réputation d’un chercheur se gagne à l’aide de la clarté de ses théories et recherches, alors que dans le milieu privé, l’avantage concurrentiel peut émerger du secret industriel.
Quel impact auront ses valeurs sur la société?
La science est en fin de compte une conversation possédant des valeurs intéressantes. Notamment, celle qu’on ne peut pas savoir la vérité. Dans cette conversation, on doit être prêt à rejeter ce qu’on considère comme acquis, et ainsi se remettre en question continuellement. De plus la science valorise que notre savoir est une construction supportée par d’autres humains et qu’on ne puisse pas pas avancer sans eux, sans une collaboration active avec la communauté. Finalement, c’est une conversation philosophique, une conversation remplie de questionnements sur l’essence du monde et notre existence.
Pour finir, je souhaite vous faire réfléchir, partager, et même réagir… A la lumière des prédictions de l’OFS ci-dessus, comment pensez-vous que les valeurs scientifiques vont impacter la société? En quoi va-t-elle être différente en 2045? Qu’en sera-il des entreprises dans ce processus de changement?